Marc Coucke : pas une seconde d’ennui

L’année dernière encore, nous prédisions que la voie était libre pour qu’un nouveau CEO vienne occuper la première place dans notre classement annuel FINN/Auxipress. Nous avions alors gagé que les nouveaux CEO de Bpost, de Belgacom ou de Telenet avaient toutes leurs chances de figurer au faîte de la hiérarchie cette année.

C’était sans compter sur Marc Coucke qui, à lui seul, a cet automne chamboulé tous les pronostics.

Coucke a été le paratonnerre d’une lourde dépression idéologique, dont les nuages – qui avaient pour noms grèves, affaire Lux Leaks, coalition suédoise, Thomas Piketty et, d’une manière générale l’antagonisme croissant entre gauche et droite – s’amassaient à l’horizon depuis quelques mois déjà.

Et d’après les calculs d’Auxipress, l’orage a été violent. Coucke a été mentionné plus de 1600 fois dans la presse écrite l’année dernière – soit presque le niveau atteint par les directeurs de banque au plus bas de la crise financière de 2010-2011.

En ligne, le nom (complet) de Coucke a été mentionné plus de 9000 fois. Une recherche sur son seul patronyme donnerait vraisemblablement un résultat dix fois supérieur.

Dans nos précédentes éditions, Coucke était étonnamment absent de la presse francophone. À peine 52 citations l’année dernière – en dépit de son équipe cycliste. Cette année : 571 mentions. Il retrouve ainsi son niveau de 2011 – année de notre premier classement CEO lien.

Eric Domb, fondateur de Pairi Daiza, fait également une entrée remarquée dans le top 10 cette année. Ce nouveau venu, mieux connu comme « l’homme qui a fait venir les pandas en Belgique », est devenu un peu malgré lui l’enjeu de la campagne électorale. Pour Bart De Wever, Eric Domb était une cible gratifiante de l’autre côté de la frontière linguistique. Domb ne s’est cependant pas laissé faire : il a lancé une véritable tournée des médias flamands et wallons pour montrer ses lettres de créances en tant qu’entrepreneur, et a réussi à bien se faire entendre.

La télévision dit « non »

Seules la télévision et la radio présentent un tableau différent. Tout comme l’année dernière, la TV et la radio ont porté l’essentiel de leur attention sur les chemins de fer (Jo Cornu), la poste (Johnny Thijs) et les télécoms (Dominique Leroy). Marc Coucke doit ici se contenter d’une quatrième place, talonné par Didier Bellens (lui aussi Belgacom), Roland Duchâtelet (football), Marc Descheemaecker (encore une fois la SNCB) et Bart Verhaeghe (le football à nouveau – et Uplace).

La raison pour laquelle la télévision et la radio privilégient à ce point les entreprises publiques n’est pas claire.

Il est vrai que les médias affectionnent les « communications de service » qui intéressent les consommateurs – « attention, demain, il y aura grève », « attention aux nouveaux horaires des trains », « demain, un nouveau programme à la TV ». Et les services qui comptent le plus de consommateurs sont bien entendu les anciens monopoles publics, tels la poste, la téléphonie et les transports.

Analyse du contenu : quel est le score des nouveaux CEO ?

ILes années précédentes, nous avions constitué un word cloud d’un échantillon représentatif d’interviews de quelques CEO de premier plan. Cela offrait une image relativement précise des sujets par lesquels les CEO avaient fait l’actualité.

Cette année, nous avons toutefois souhaité examiner plus en profondeur de quelle manière les nouveaux CEO se sont exprimés dans les médias. Sont-ils capables d’imposer les messages qu’ils prévoient ou doivent-ils réagir à des informations qui leur sont imposées par des tiers ? À quel point les CEO sont-ils cohérents dans leurs interviews ? De quels aspects de l’entreprise parlent-ils ?

Pour l’analyse, nous avons réuni de 50 à 90 interviews de Dominique Leroy (Belgacom) et Jo Cornu (SNCB. Nous avons répertorié, pour chaque déclaration, les points suivants :

  • lobbying (Public Affairs) : réglementations qui ont un impact sur l’entreprise ou le secteur (par exemple : neutralité du réseau)
  • emploi : syndicats, emploi, licenciements, recrutements
  • stratégie d’entreprise : sur quoi l’entreprise va-t-elle se concentrer dans les années à venir ?
  • industrie : p.ex. concurrents, homologues sectoriels à l’étranger, forces concurrentielles en action
  • résultats de l’entreprise : comment l’entreprise s’est-elle comportée durant l’année/le trimestre écoulé(e) ?
  • bonus et salaire du CEO : traditionnellement un sujet toxique qui peut menacer la communication du CEO
  • valeurs : quelles valeurs le CEO veut-il mettre en évidence en ce qui concerne l’entreprise ?
  • RSE : responsabilité sociale de l’entreprise, c.-à-d. la « citoyenneté » de l’entreprise en question
  • produits ou services de l’entreprise : p.ex. Rex et Rio, la 4G, mais aussi plus généralement la ligne Limbourg-Bruxelles de la SNCB

Méthode de comptage : chaque sujet peut revenir à plusieurs reprises dans une interview. Exemple : lorsque Dominique Leroy parle de l’offre 4G à Bruxelles, cela compte pour 1 point. Par la suite, lorsqu’elle évoque les lignes fixes en Belgique, cela donne un deuxième point sous « produits ou services ».

Jo Cornu : valeurs, lobbying & syndicats

Il est très difficile pour un CEO de mettre un sujet à l’ordre du jour et de l’y maintenir, et Jo Cornu s’en est sans aucun doute rendu compte. Jo Cornu a au départ tenté (avec succès) de mettre en avant les notions de « discipline » et de « ponctualité » en tant que valeurs centrales de la SNCB. À un moment, dans le courant de l’année, il souligne également que la SNCB doit « placer le client au centre de ses préoccupations ». Lors de l’installation des nouveaux systèmes de freinage, peu après sa nomination, il a aussi affirmé que « la sécurité est une priorité absolue » pour la SNCB.

Parmi les CEO que nous avons étudiés en 2014, c’est Jo Cornu qui a pu définir le plus clairement les valeurs qui sont les plus importantes à ses yeux pour la SNCB. C’est aussi lui qui fait le lobbying le plus actif dans les médias – notamment sur le thème de la libéralisation du rail. Jo Cornu est très clair sur la question : « La SNCB n’est pas prête pour une libéralisation du rail ».

Par ailleurs, Jo Cornu laisse d’emblée une forte impression en termes de contenu : son premier passage au Parlement montre un homme qui maîtrise ses dossiers. Et en sa qualité d’ingénieur, il a plaidé ardemment pour une plus grande standardisation des trains en Europe. Jo Cornu a pris un départ en boulet de canon.

Hélas, il s’essouffle et semble peu à peu perdre le contrôle de sa communication.

Après son départ en trombe, il ne parvient pas à maintenir la discipline, la ponctualité et la sécurité à l’ordre du jour des médias, et le thème de la standardisation semble lui aussi passer progressivement au second plan. Il marque toutefois encore des points avec son projet d’introduire des trains avec Wi-Fi.

D’une manière générale cependant, son style direct permet trop facilement à ses adversaires de caricaturer ses propos. Des déclarations telles que « mon personnel n’est pas trop cher, mais il travaille trop peu pour son salaire » sont un peu trop propices à la citation (et aux tweets).

Ou encore :

Ce qui est pénible pour l’un, ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Il est bien plus pénible pour moi d’entretenir mon jardin que de diriger la SNCB.

(Knack, 13/08)

Jo Cornu est souvent confronté au fait que les déclarations du CEO de la SNCB sont avidement récupérées et gonflées par les médias grand public. Elles sont ensuite reprises par les syndicats qui savent parfaitement comment les porter dans les médias et dans le monde politique – par moment, on entend très clairement rebondir les échos des échos.

Jo Cornu touche le fond lorsque le ministre compétent vient déclarer au Parlement qu’il doit adapter sa communication. Citons Jacqueline Galant, qui a déclaré le 8 novembre 2014 dans De Morgen :

« J’ai un grand respect pour Jo Cornu, mais il doit apprendre à se taire. Il lance des hypothèses dont nous n’avons encore jamais parlé. (…) Lorsque je lis cela, je comprends que les syndicats se fassent du souci. »

Jacqueline Galant est une ministre MR ultralibérale.

Dominique Leroy : grande communicatrice

Si l’on regardait simplement les chiffres, on pourrait croire que Dominique Leroy opère encore dans l’ombre de Didier Bellens. Côté francophone, en effet, Didier Bellens se classe encore en 2e position sur base des mentions dans la presse, juste derrière Marc Coucke.

Côté contenu, il n’est toutefois plus question de l’ombre de Bellens. Dominique Leroy est très rapidement devenue « Madame Belgacom ».

Ses débuts ont toutefois été chahutés, avec de nombreuses supputations politiques et médiatiques concernant son salaire – est-il ou non inférieur à celui de Didier Bellens, a-t-on ou non utilisé des ‘combines’, le gouvernement a-t-il ou non été transparent au sujet de la rémunération de Dominique Leroy ? La rémunération des dirigeants reste un sujet toxique.

Comment Dominique Leroy s’est-elle glissée dans la peau de la grande communicatrice, au point de se voir décerner le prix du meilleur communicateur 2014 par l’association professionnelle des spécialistes des RP ?

En partie en mettant le client au centre des préoccupations. Une de ses premières communications a porté sur l’affirmation apparemment anodine que chaque client Proximus pourrait faire usage de la 4G.

Un coup de maître sur plusieurs échiquiers à la fois. Les consommateurs ont vu ainsi un Belgacom plus chaleureux, qui distribuait des cadeaux. Les journalistes, pour leur part, ont observé une rupture radicale par rapport à l’ère Bellens, durant laquelle les informations sur Belgacom portaient souvent sur les conflits au sein de la direction et du conseil d’administration. Les analystes espéraient qu’un échantillon gratuit de 4G susciterait un plus grand appétit pour les données. Et un signal a été donné au monde politique pour lui rappeler l’importance de la 4G pour l’économie.

Après cela, Dominique Leroy a opéré des coupes dans les dividendes, et dans la douce chaleur du nouveau Belgacom, presque personne ne s’en est offusqué. Chapeau.

Cette chaleur fait un peu penser à l’état de grâce dont a bénéficié Wouter Torfs il y a quelques années. Il est étonnant de constater à quel point la presse technologique est gentille avec Dominique Leroy. La presse technologique se montre généralement assez intransigeante lorsque l’on aborde la question de la neutralité du réseau. Dans une interview pour De Tijd, Dominique Leroy se prononce contre la neutralité du réseau, mais cela suscite finalement peu de remous : :

Internet doit rester ouvert, avec un accès libre pour chacun. Mais il faut accepter que des clients, des particuliers et des entreprises puissent avoir une expérience différente en fonction de leur consommation et de ce qu’ils veulent payer. Comparez avec votre voiture. Si vous roulez peu, vous mettez peu d’essence. Si vous roulez beaucoup, vous mettez beaucoup d’essence. Le même principe s’applique pour internet. Si vous regardez beaucoup de vidéos sur internet, vous devrez payer plus. C’est logique.

(De Tijd, 2 octobre 2014)

Selon Dominique Leroy, il faut nécessairement des règles plus souples, notamment en matière de neutralité du réseau.

« L’Europe est désespérément à la recherche de croissance. Eh bien, le secteur des télécommunications peut y contribuer. Nous voulons investir et croître. Mais permettez-nous alors de gagner de l’argent avec ces investissements. »

(De Tijd, 2 octobre 2014)

Dominique Leroy a vécu sur un nuage cette année. L’histoire nous apprend que cette situation ne dure pas éternellement.

Autre constat marquant, Dominique Leroy emploie un langage différent dans les deux parties du pays. Au nord, elle ne cesse de répéter qu’il est nécessaire de reconquérir le cœur des clients flamands (par rapport à Telenet), et dit qu’elle veut montrer aux Flamands combien Belgacom/Proximus est une entreprise sympathique. Cela transparaît le plus clairement dans ses déclarations au sujet du rebranding des services Belgacom en Proximus.

Du côté francophone, on apprend que Belgacom voulait capitaliser sur le « caractère innovant de la marque Proximus » (Le Soir, 27 septembre). Du côté flamand :

Parallèlement, des études ont montré que la marque Proximus suscitait plus de sympathie que la marque Belgacom. ‘Surtout en Flandre. Au sud du pays, Belgacom devance encore Proximus, mais la différence est minime.’ Le choix s’est donc finalement porté assez logiquement sur Proximus.

(Het Nieuwsblad, 11 mars)

Autre aspect positif de la personnalité de Dominique Leroy – en tant que CEO, elle n’hésite pas à monter au créneau. Elle a par exemple décoché un puissant crochet du gauche à Telenet dans une interview avec Canal Z :

Pour chaque ménage, nous avons une ligne unique qui part de notre réseau en fibres optiques vers la maison en question, et vous êtes le seul à y être connecté. Le câble (de Telenet, ndlr.), par contre, est une boucle sur laquelle sont raccordés jusqu’à 500 ménages et dont la capacité est donc répartie entre ces 500 ménages. Si chacun regarde Netflix en même temps, cela met une énorme pression sur leur câble. Pas chez nous.

(Het Nieuwsblad, 27 septembre 2014)

Dominique Leroy est moins précise que Jo Cornu sur une série de plans. Elle veut « renouer avec la croissance en 2016 », mais elle reste vague quant à la manière dont elle va s’y prendre. C’est valable également en ce qui concerne sa communication sur les valeurs de Proximus et de Belgacom. Elle s’exprime en revanche sur ses propres valeurs (la transparence), mais elle ne les met pas (directement) en rapport avec celles que doit montrer Proximus/Belgacom. Il n’est pas exclu qu’elle ait fait des déclarations à ce sujet à des journalistes, mais dans ce cas, elles ont été coupées au montage.

Dominique Leroy ne s’exprime pour ainsi dire pas sur la RSE – et si elle le fait, c’est uniquement de manière défensive, après la fameuse affaire Lux Leaks, pour souligner que Belgacom est un « bon citoyen », qui paie beaucoup d’impôts. Peu de déclarations concrètes également quand il s’agit d’innovation. Elle parle certes de l’importance de l’innovation, mais sans citer d’exemples concrets.

Il n’est pas à exclure que ces sujets « moins brûlants » soient à l’ordre du jour pour 2015.

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